Détail d'une carte de l'ingénieur Selhausen,1818, collection BNF
Bertrand Mahé de La Bourdonnais, gouverneur des Îles Mascareignes, officialise la création du quartier Saint-Pierre le 8 septembre 1736. Gabriel Dejean est nommé commandant de la place. Il préside à la naissance de la ville, en dessine le plan en damier, lance la construction des magasins de la Compagnie (actuel hôtel de ville) et du vieux gouvernement. Dans le même temps, des marines sont établies sur les rives du barachois pour le transbordement des marchandises, alors qu'un moulin à blé est construit au bas de la rue de la Rivière. Une église et un cimetière sont prévus. Le plan de Dejean comporte 230 emplacements et forme l'organisation de la ville actuelle. On peut décrire deux zones sur ce plan, séparées par la rue Marius-et-Ary-Leblond (ancienne route Impériale ou rue Royale) : en dessous de celle-ci vers l'océan sont implantés les bâtiments administratifs ainsi que les entrepôts de la Compagnie des Indes ; au-dessus, les emplacements résidentiels.Mis à part la volonté de ses habitants de s'émanciper de la tutelle de Saint-Paul, la ville de Saint-Pierre est née de plusieurs facteurs qui lui sont favorables : située à l'embouchure d'une rivière, elle peut bénéficier d'un abri naturel pour les embarcations, et donc établir des communications maritimes avec d'autres points de l'île. À cette embouchure coulent plusieurs sources qui permettent l'approvisionnement en eau dans une région relativement sèche. Il faut aussi compter sur l'existence d'un premier groupement d'habitations autour de l'embouchure et un arrière-pays très fertile donné en concessions par la Compagnie des Indes entre 1722 et 1728. À la différence des premières terres du 18ème siècle concédées « du battant des lames au sommet des montagnes », celles données par la Compagnie dans le Sud sont divisées par des lignes d'arpentage plus ou moins parallèles à la côte. Aujourd'hui, des noms de routes rappellent ces limites (ligne Paradis, ligne des Bambous, ligne des 400).
Portrait de François Mahé de Labourdonnais par Antoine Graincourt, collection Palais de Versailles
Au début du 19ème siècle, le développement de la culture de la canne à sucre dans la région se confronte au manque d'eau. En 1818, trois grands propriétaires sudistes, Frappier de Montbenoit, Joseph Desruisseaux et Augustin Motais, projettent d'établir un canal de dérivation des eaux à ciel ouvert, à partir du bras de la Plaine pour irriguer leurs terres. La construction de ce canal Saint-Étienne ou « Grand Canal » , long de 17 km, dure de 1821 à 1825. Son axe principal se ramifie en de nombreuses conduites secondaires, qui irriguent les terres agricoles, alimentent les usines et approvisionnent la population en eau potable jusqu'à la fin des années 1970, avant d'être définitivement désaffecté en 1981. De nombreux vestiges témoignent encore de ce passé récent : certaines portions appareillées en pierres de taille, des prises d'eau, des ponceaux... La prospérité économique de la ville et de sa périphérie est en grande partie due à ce canal. Et c'est ainsi qu'apparaissent de magnifiques villas de maître entourées de luxuriants jardins qui caractérisent si bien l'art de vivre créole. Cette prospérité agricole du milieu du 19ème siècle lancera Saint-Pierre dans l'aventure maritime.
Détail d'une carte de Cloué, 1846, collection privée
Dès l'origine, l'administration se préoccupe d'aménager le site naturel de l'embouchure de la rivière d'Abord. Convaincu par d'anciennes études, notamment celle de l'ingénieur Tromelin datant de 1773, le gouverneur créole Henri Hubert Delisle fait son choix et, le 12 mars 1854, accompagné du maire Charles Motais, scelle la première pierre de la jetée est du port de Saint-Pierre.
Les travaux commencent dans l'enthousiasme général, mais les Saint-Pierrois ne se doutent pas alors que ce projet ruinera la commune. Le creusement du corail rendra les travaux longs, difficiles et coûteux. La crise économique des années 1860 fait abandonner les subsides de l'État et de la colonie. Les habitants, tenaces, contribuent aussi aux travaux. La ville s'endette une dernière fois avec près de 1,5 million de francs d'emprunt pour enfin inaugurer son port le 23 octobre 1883. À cette date, un bâtiment de 600 tonneaux peut entrer dans le port, et trois navires de 300 tonneaux peuvent s'y retrouver ensemble si leur tirant d'eau n'excède pas 4,50 m. Les travaux se poursuivent ensuite et, en 1886, un navire américain de 569 tonneaux, le Lyman rentre dans la rade.
Travaux du port de Saint-Pierre, Carrière où s'exploitent les bloc, lithographie de Roussin, 1860, collection privée
Le port dispose alors d'un bassin de radoub pour réparer les navires à sec. Pendant quelques années, il apporte un certain essor à la ville. Cependant, des problèmes d'ensablement rendent son accès de plus en plus difficile. À cause de la concurrence du chemin de fer naissant, du passage de la marine à voile à la marine à vapeur des navires à fort tirant d'eau, de l'ouverture du canal de Suez - favorisant une arrivée plus facile au nord de l'île et la concurrence du nouveau port de la Pointe des Galets au nord-ouest, le port de Saint-Pierre n'a jamais connu le succès escompté.
Il faudra attendre la fin du 20ème siècle pour que le port de Saint-Pierre soit finalement agrandi et modernisé. Il est aujourd'hui un port de pêche et de plaisance qui participe fortement à l'attrait et au développement touristique de la ville à l'instar d'un autre outil de développement créé en 1998 : l'aéroport de Pierrefonds, devenu aujourd'hui un aéroport d'envergure régional.